Well hello there

Une tasse de thé. Un chapeau. Un contrat. La routine.
Pas un chat dans les rues, seul résonnait le martèlement de ses propres talonnettes dans les ruelles. L'air était frais, pur, atrocement pur. Quelque chose manquait dans cette atmosphère, au courant de cette nuit tombante, quelque chose de moins sain. De moins propre. Comme si tout à coup Wonderland s'était laissée tomber, avait oublié son identité, et avait sombré dans la douceur toute enfantine d'une soirée normale et paisible. Seul cet homme seul, dans son costume coupé sur mesure, semblait décrier dans cette ambiance sereine.
La sérénité. Voilà un concept qui était aussi peu habituel qu'il lui donnait sacrément envie de déverser son dernier repas -une adorable vendeuse d'allumettes croisée quelques ruelles plus haut- sur les pavés. Impossible n'est pas Alcide. Autant dire qu'il luttait ferme contre son propre estomac.
Il avait besoin d'action. Il le sentait jusqu'aux extrémités de ses veines.

Ce besoin. Cette pulsion, même, pouvait être assouvie rapidement compte tenu du nouveau job que lui avait confié le Chapelier. L'Immortel, après tout, sortait tout juste du Manoir imposant où son cinglé de patron l'avait convoqué. Un mal pour un bien. Une tasse de thé indigeste pour une nouvelle autorisation officielle de répandre le sang. Il n'allait pas s'en plaindre. Si assouvir ses plus basses envies lui permettait de retrouver son rang comme son statut, il n'allait pas cracher dans la soupe, si ? Sauf que là, au point où il en était, il se trouvait pris d'un profond malaise. Pas que le contrat fut ardu, non. Mais cette ambiance, sacro-treize, cette ambiance ! A vomir.

Marchant à grandes enjambées, appréciant le délicieux spectacle de son ombre longiligne se mouvant gracieusement à côté de lui, l'Immortel continua sa route vers le Dentelle et Cuir. Se faufiler jusqu'au Manoir n'était jamais gagné d'avance. Il fallait passer outre toutes les protections, réclamer audience auprès du Chapelier, tout un falbala sans nom et terriblement lassant. Et dangereux pour un banni. Il pouvait aussi égorger un serviteur et se faufiler par l'entrée de service. Mais le Chapelier avait tendance à ne pas toujours apprécier cette méthode. Revenir était tout aussi ardu. Le vampire s'en sortait toujours admirablement bien et ce soir n'avait pas dérogé à la règle. On apprend à vivre en 1016 ans.

Détour, retour, marche arrière. Le dédale des ruelles n'en finissait apparemment plus. Même en connaissant parfaitement le coin, on pouvait toujours s'y perdre. C'était pour ça que revenir était toujours une épreuve. Même malgré tout ce temps, Alcide arrivait toujours à se perdre. Un détour occasionné par une victime potentielle, un arrêt devant un clochard sans le sou qui essayait de lui tirer ses pompes, ou encore un demi-tour savant pour aller remplir un contrat en se rendant compte du nom de la rue, Nameless City ne manquait pas de distractions. Et c'était pour ça que présentement, l'Immortel se sentait mal. Mise à part cette adorable gamine qui avait été aussi tendre et juteuse qu'une pêche mure, il n'avait pas eu son lot de distractions. Ca le minait.

Il accéléra le pas, sa redingote de velours se soulevant au rythme de ses pas. Il huma de nouveau l'air plus par réflexe qu'autre chose. Tout pour le tirer de cette soirée nettement trop douce. Un fumet familier parvint à ses narines, prenant d'assaut son nez alors qu'il buta sur quelqu'un au détour d'une ruelle. Surpris, il opéra un pas de côté et leva les yeux sur l'importun... avant qu'un sourire carnassier n'orne ses lèvres.

-Tiens donc, quelle agréable surprise !

Sa voix avait instantanément pris le ton feutré du chasseur trouvant sa proie, un son aussi bas et chaud qu'un ronronnement. D'une main, il rajusta sa redingote et observa l'être qui l'avait heurté.
Sous la lumière des lampadaires, perdu au milieu de ces rues décidément trop vides, un homme. Lucian.
Un ancien employé et une victime constante. Finalement, la soirée allait finir beaucoup plus viciée qu'elle n'avait l'air.

-Tu es de passage à Nameless City, Lio ? Tu aurais pu me prévenir.

Léger balancement de hanches réglé au millimètre, juste assez pour changer d'appui tandis que ses bras se croisèrent tous seuls sur son torse. Le vampire dévisagea son vis à vis avec intérêt, avant de poser à nouveau ses yeux clairs sur lui. Son propre visage arborait une esquisse de moue boudeuse. Autant commencer les hostilités avec élégance, non ?

Comme mû par un caprice aussi subit qu'éphémère, le vent s'était levé autour d'eux, balayant tout sur son passage, des feuilles dans les gouttières jusqu'à l'amour propre de Lucian. La bourrasque transporta une odeur caractéristique aux narines d'Alcide. Son sourire carnassier s'étira d'autant plus. L'odeur de la peur était un des fumets les plus délicieux que la vampire ait eu le loisir de respirer. Un parfum enivrant, intense et prenant, un peu âpre, brut, mais pas dénué de mordant. Le jeune homme se tassait sur lui-même à vue d’œil. Pauvre, pauvre petit.
Même le son de sa voix était un délice. Ce léger couinement plaintif, la crainte resserrant les entrailles comme les cordes vocales, ne laissant plus de place qu'à une modulation aiguë et jouissive. Non, finalement, la journée n'était pas aussi mauvaise. Le visage toujours orné d'une moue boudeuse, l'Immortel ne se montra pas le moins du monde incommodé par le vent. Il l'exaltait, au contraire. Sans rien cacher de sa jubilation, le vampire avança d'un pas.

Oh allons, son souvenir lui aurait-il coupé la langue ? La déception opéra une légère morsure dans son égo. Croisement de bras, son doigt se mit à tapoter doucement sur le velours violacé de sa veste. Il aurait presque pu entendre les battements erratiques de ce coeur affolé si Lucian n'avait pas reculé d'un pas. Flegmatique, Alcide leva sa main à hauteur de son torse, frottant ses doigts entre eux.

-Même en n'étant que de passage, tu sais très bien que ma porte t'est toujours grande ouverte.

Le passage de Lucian au Dentelle et Cuir avait été un moment particulièrement agréable pour le vampire. Comme cette entrevue, un jeu de pouvoir dont Alcide savait pertinemment qu'il avait toujours eu le contrôle. Si facilement impressionnable. Si agréablement facile à dérouter. Un jouet fait homme dont il savait qu'il ne se lasserait probablement jamais. Ses yeux clairs se levèrent à nouveau sur le visage de son vis-à-vis. Tout flegme venait de disparaître de ses traits, laissant place à une dureté sans égale.
Un nouveau pas en arrière. Sans attendre, l'Immortel raccourcit l'écart d'une enjambée. Maintenant qu'il avait une occasion en or de jouer, il n'allait pas le laisser filer.

-Tu le sais n'est-ce pas, Lio?

Variation, accentuation, et une légère pression sur le surnom. Son ton avait été aussi glacial que son regard, presque cassant. Délice à l'état brut. Combien d'heures avait-il pu passer à l'intimider pour finalement le faire craquer ? Si le temps passé au Dentelle avait été rude, ce n'avait certainement pas été pour le vampire. Un nouveau pas en avant. Non, vraiment pas, tout au contraire. L'engager avait été une de ses meilleures décisions, et il regrettait presque ses services. Ce qui lui manquait essentiellement, c'était ce combat permanent que le jeune homme semblait mener contre lui-même quand il le voyait. Comme maintenant. Un de ces doux dilemmes entre conscient et physique, lorsque tout un corps entre en dissonance. Douce cacophonie.
D'un regard dur, il pouvait le faire plier. Sans cligner des yeux, il maintint le contact visuel, les prunelles plongées dans les siennes. S'il plissait légèrement les paupières, il pouvait y lire toute la confusion du monde. Un sourire enfantin finit par s'étirer sur ses traits. Il était temps de réinstaller un peu de chaleur dans cette entrevue.

-Ne sois pas aussi pressé, voyons, ce n'est pas comme si tu avais un rendez-vous plus important que nos retrouvailles, si ?

Bien sûr que non. Comme pour prouver l'évidence, Alcide avança d'un nouveau pas, pénétrant avec insolence dans la zone de confort de Lio. Il bascula doucement d'un pied sur l'autre, balançant les pans de sa veste dans un léger froissement de tissu. Le vent se leva à nouveau dans une nouvelle bourrasque gelant jusqu'aux âmes. Et toujours pas un chat dans les ruelles autour d'eux. A croire que quelque force supérieure s'amusait de la situation au moins autant que l'Immortel. Même les éléments étaient réglés comme du papier à musique, suivant le tempo de ses propres pas sur les pavés.
Adoptant une expression profondément affectée, le vampire acheva de régler le problème de la distance d'un dernier pas. Il entendait maintenant parfaitement les battements irréguliers du cœur de Lucian, battant une cadence familière à sa propre petite Symphonie de la Peur. Pris par un soudain élan de pitié, son bras se tendit en direction de sa victime. Lentement, presque tendrement, avec la douceur de celui qui ne souhaite pas perturber l'être en face de lui. Du bout des doigts, il caressa sa joue avec une fragilité toute feinte.

-Tu nous manques terriblement, tu sais ? Tu me manques terriblement...

Dans un soupir doux, il posa sa main sur la joue du jeune homme. Reculera, reculera pas ? Telle était toujours la grande question quand Lio était dans l'équation. Il n'avait jamais été fort. Ce n'était pas maintenant qu'il le deviendrait, non.
En soit, la question serait réglée en deux coups de cuiller à pot. Si Alcide calait sa jambe entre ses cuisses, sa victime ne partirait plus du tout. Mais il était esthète, et savait se montrer très patient quand il s'agissait de son amusement personnel. Ne gâcher en rien le plaisir en voulant précipiter les choses. Retenir ses pulsions. Il avait eu une éternité pour comprendre puis apprécier le concept. Faire craquer le jeune homme de quelque manière que ce soit n'était que la cerise sur le gâteau.
Il avait encore le choix, présentement. Mais s'il ne partait pas en courant, il était perdu.

Ce n'est l'affaire que d'un souffle. D'un murmure pour que le jeune homme semble à nouveau plongé dans la plus profonde confusion. Vivre à Wonderland n'est pas une sinécure pour les plus faibles d'esprit, mais une véritable bénédiction pour tous ceux qui sont capables de tirer leur épine du jeu. Alcide en ferait partie, probablement, s'il ne s'amusait autant de cette douce pression qu'il était capable d'exercer sur autrui. Douce, douce symphonie que celle du coeur innocent martyrisé. N'importe qui ne serait pas à même d'apprécier une telle mélodie. Le vampire, lui, en était bel et bien capable.

Il allait plier. Tant et si bien qu'il finirait par se rompre. Ce pauvre Lucian, dans toute son infinie faiblesse. Plus que la peau sur les os, le regard sautillant, fou, et ces cheveux... Autant il avait été plus noble quand il était employé au Dentelle et Cuir, autant maintenant il n'avait pas plus d'allure qu'un de ces pauvres ères qu'Alcide méprisait du plus profond de son âme. Pourquoi avait-il voulu partir, lui qui était aussi bien, apprécié de la clientèle comme de son tyran de patron ? Une erreur, assurément. Ce ne pouvait être que ça, une erreur, comme toutes celles que Lucian avait pu faire et continuerait probablement à faire. Le vampire fit claquer ses lèvres, subrepticement, savourant le délicieux frisson de cette rencontre inopinée. Jouer sur ces erreurs était un de ces moments de rare jouissance que ce quartier miteux, ce bouge innommable pouvait lui procurer. Nuance, jouer de Lucian était l'instant suprême, la cerise sur le gâteau, l'apothéose, la...

Chute.

Comme au ralentit, alors qu'il semblait vouloir prendre ses jambes à son cou, l'ancien employé s'effondra sur les pavés. Le bruit mat de son corps sur le sol ne perturbe pas autant Alcide que la sensation de son pied sur son pantalon. Juste assez pour qu'il sente le tissu frôler sa jambe, et réalise la hauteur de cet affront.
Un affront, oui, merde, un pantalon qui lui avait coûté un bras, taillé sur mesure par un nain manchot, ce n'était pas possible, si ?! L'Immortel se raidit complètement, resserrant ses longs doigts blancs sur le pommeau de sa cane. D'un regard froid, il toisa la misérable créature qui, maintenant à genoux devant lui, essayait de faire disparaître l'affront aussi vite qu'il était arrivé. Une profonde vague de colère se déversa dans son corps, contrebalançant avec chaleur la sensation glaciale de ses propres membres. Ses pupilles étrécies, il n'avait plus l'envie du jeu. L'autre allait le payer. Comme au bon vieux temps.

L'espace d'un battement de cils et sa main libre empoignait le menton de Lio, le forçant à lever la tête pour qu'il puisse bien voir la fureur qui lui brûlait les iris. Admire ce que tu as fait, sombre idiot. Parce que ce regard n'est rien comparé à ce que tu risques de subir...

-Pas autant que moi...

Son intonation n'avait plus rien d'humain, de chaud, ou de joueur, comme précédemment. La rage sourde qui l'animait se manifestait par un ton métallique, glacial, d'où sourdait une menace lourde et pesante.

-Ce pantalon que tu viens de ruiner a dû coûter mille fois plus que tout ce que tu pourrais gagner en une seule vie...

Ses doigts se resserrèrent comme un étau sur le menton du jeune homme tandis qu'Alcide se penchait d'avantage vers lui, sans ciller. Pour peu qu'il se fut moins maitrisé, il l'aurait déchiqueté sur place.
Les iris fendus du vampire s'abaissèrent sur son visage, le détaillant avec une minutie toute prédatrice. Il pouvait sentir le sang affluer sous la pulpe de ses doigts, vif, porté par des battements terrifiés, roulant par flots dans les capillaires. Il pouvait voir ces minuscules petites veines dans ses yeux, sentir sa peur, sa chaleur, son souffle. L'Immortel sembla s'apaiser l'espace d'un instant, ses propres pensées refaisant surface au dessus de son océan de rancoeur. Oui, il paierait. Mais autant allier l'utile à l'agréable, non ?
Un sourire carnassier s'étira lentement sur ses traits, dévoilant ses canines. Ne pas mordre, Alcide. Joue avec ta proie. Tu l'aimes bien, cette proie-là, non ? Il t'est plus utile vivant que mort, d'autant que sec comme il est, il doit être vaguement filandreux...

-On doit pouvoir arriver à un arrangement pour oublier ce fâcheux incident, non ? J'ai toujours eu un faible pour toi, et te laisser plus mort que vif dans cette ruelle ne règlera rien...

L'étreinte sur son menton se relâcha et il laissa courir son pouce le long de sa pommette. Ces yeux creusés ne connaîtraient le repos que quand il le déciderait. Pas avant. Sa main continua sa progression le long de sa tempe pour venir agripper ses cheveux, tirant une nouvelle fois sa tête en arrière. Les pupilles du vampire, elles, étaient redevenues de taille égale. Une toute nouvelle forme de jeu s'offrait à lui, qui était-il pour refuser ?

-Tu sais, comme au Dentelle, quand tu échouais lamentablement à faire ce qu'on te demandait de faire... On pourrait repartir bons amis, comme avant. Quitte à ce que nous n'ayons pas perdu notre temps...

Plus les mots s'échappaient, et plus son ton se réchauffait. Le ronronnement de sa propre voix le fit frémir, tandis qu'il continua de plus belle, dans un souffle.

-...Tu as toujours été mon préféré, Lio... Et tu sais exactement de quel type d'arrangement nous parlons maintenant, n'est-ce pas ?

Son regard s'abaissa lentement vers sa propre ceinture, avant de revenir se poser sur les lèvres de son ancien Chef et employé. D'un coup de langue il humecta les siennes, sans rompre le contact visuel. D'un mouvement tout aussi lent et calculé, il empoigna sa cane et vint caresser une des cuisses de sa victime, amenant calmement mais sûrement le pommeau sculpté vers son entrejambe.

-Alors ?

Bien sûr qu'il allait réagir. Comme à chaque fois, à chacun de ses frôlements, à chacune de leurs rencontres. Lio était un de ces faibles qui n'apprennent jamais de leurs erreurs, qui reviennent toujours immanquablement se jeter dans la gueule du loup dans l'attente, désespérée, de recevoir leur juste châtiment. Comme toujours. Et pourtant il s'agissait là d'une de ces routines agréables, jouissives, à laquelle on prenait goût. Comme un spectacle qui continue. Comme un Encore quémandé par un public avide, auquel on se jette en pâture, toujours, toujours. La musique reste la même, tout le monde la connait, tout le monde la redemande. Alcide lui-même la redemandait, cette musique.
Symphonie de la peur pour un corps.
Amertume de l'âme pour une heure de plaisir.
L'écrasante complexité des Wonderlandiens n'est rien. Elle est une paille au milieu d'une botte de foin, une poussière sur la chaussure de l'Immortel. Il les connait tous, avec leurs failles, leurs forces, jusqu'au dernier. Cet homme qu'il tient du bout de sa seule cane, qui se tend et frémit à cette simple caresse, il le connait. Cet esprit pourtant libre, il sait le faire plier. Parce que peut-être dans cet univers de pulsions, il y a des schémas, il y a des répétitions. Les couleurs ont beau varier, les goûts et les formes aussi, la base reste la même. Tous peints sur la même toile. Lio peint sur la même toile. Alcide aussi. Ils veulent tous la même chose, à quoi bon se retenir ?

A quoi bon ?

Un rictus crâne s'étira sur les lèvres du vampire, dévoilant une nouvelle fois ses canines pointues. Parce que l'Homme reste Homme, il reste néanmoins animal. Incapable de résister à l'appel de la chair quand celui-ci s'impose. Même si ça l'avilit. Même s'il en a honte plus tard. Ce n'est pas pour l'acte en lui-même qu'Alcide s'amuse à le faire plier, non. C'est pour les sentiments conflictuels qui en découlent inlassablement. Car après la plénitude vient ce moment délicieux où tout s'écroule. C'est ce moment qui lui, le fait vibrer.
Languide, il laissa sa proie se redresser. Bien sûr qu'il avait compris. Bien sûr qu'il avait accepté le deal. Tout n'est qu'un éternel -et agréable- recommencement, comme avant, comme après. Ses propres sens s'éveillèrent tandis que sa bouche vint jouer de la sienne. Répondant avec tout autant d'ardeur, le vampire s'amusa à mordiller ces lèvres avant de les relâcher, se repaissant d'une soudaine vague d'inquiétude. A loisir, il laissa ses mains à peine tièdes se faufiler sur ses joues, jusqu'à sa nuque, l'attirant à lui. Laisse-lui croire au monde, Alcide. Laisse-le croire qu'il a le dessus. C'est bien comme ça que tu joues le mieux.

Ses doigts tremblaient. Sa jambe pourtant, entre les cuisses du blond, ne prouvait pas autant d'hésitation. Il se perdait. Alcide pouvait le sentir. Dans un roulement des yeux, il finit par s'adosser complètement contre le mur, ses mains dans ses cheveux continuant inlassablement de lui masser la nuque. Sa si belle tenue, si propre, valait bien d'être souillée pour quelques instants à traumatiser Lucian. Elle ne tiendrait pas longtemps le choc, quoiqu'il en soit. Mais pour cela, il fallait que son partenaire de jeu soit moins trouillard.
Une de ses jambes s'enroula d'elle-même autour de ses reins, le rapprochant à nouveau contre lui, l'empêchant de s'échapper. Maintenant qu'il l'avait, il allait se nouer autour de lui. Jusqu'à ce que l'envie prenne le dessus, l'étouffe, comme un boa sans fin et éternellement affamé. Il l'aurait jusqu'à la moelle, le laisserait épuisé et d'autant plus perdu sur le pavé. Quitte à faire les choses bien. Son bassin ondulait langoureusement contre ses doigts tandis qu'il reprenait ses lèvres une nouvelle fois, dans un baiser aussi passionné que son cœur de glace pouvait feindre.
Mûes par une conscience propre, ses mains étaient redescendues de sa nuque à son torse et frôlaient maintenant ses muscles, redessinant les aspérités, creux comme bosses, avec délectation. Quel malheur allaient-elles provoquer à nouveau, ces mains, qui filaient avec conviction plus bas, toujours plus bas ? A l'exception que ses doigts, eux, ne tremblaient pas. Et qu'ils débouclaient la ceinture de sa victime avec habileté. Être gérant d'un bordel, ça s'entretient. Sans plus attendre, ils se retrouvèrent sous les nippes de l'ancien prostitué, explorant sans cesse.

Manifeste de l'envie, tout son corps l'était. Mais ce qui l'animait était, et resterait essentiellement, la jouissance des évènements à venir. L'Immortel planta une nouvelle fois ses yeux dans ceux de son ancien employé, d'un regard qui en disait long sur la marche à suivre. Il ne pouvait plus reculer maintenant qu'ils étaient là, dans le froid d'une nuit trop providentielle pour être vraie. Impossible. Qui sait, peut-être que cette fois, il le mordrait un peu. Peut-être que, pour se réchauffer mutuellement, il lui ferait boire une ou deux gouttes de son propre sang. Va savoir. Si Lio se prouvait plus efficace qu'en temps normal, plus malléable aussi, il en serait récompensé.
Et aurait d'autant plus honte.

-Comme au bon vieux temps...

Soupirant doucement, le vampire apprécia un court instant la chaleur de ce corps contre le sien. Un nouveau frisson d'appréhension vrilla tout son être et il se mordit une nouvelle fois la lèvre pour se retenir de rire. Parce que la situation était cocasse. Parce que son regard perdu valait bien toutes les "Tea parties" du monde avec le Chapelier. Parce que Lio était entre ses griffes, à nouveau, et n'en réchapperait pas. Il ne mit pas longtemps à se recomposer, juste le temps d'une légère ondulation qui lui arracha un soupir.

-...fais-toi pardonner, Lio...

A son grand étonnement, sa voix trahit une certaine envie. Plus une supplique qu'une de ses sempiternelles minauderies, sa dernière réplique le laissa pantois une minute. Il jeta un regard troublé à sa proie. Finalement, lui aussi se prenait beaucoup trop au jeu.

Spoiler:

Un froncement de sourcils accompagna ses vêtements alors qu'ils finissaient sur le sol dans un bruit mat. Son costume allait être ruiné, cette barbe... Certes, il a avait d'autres éléments à considérer dans le lot, mais sur le moment, l'affront lui sembla assez important pour tiquer. Juste l'espace d'une seconde. Juste avant un profond soupir frustré, entre ses dents, tandis que Lio s'amusait à inverser les rôles. Alcide baissa un regard courroucé vers lui tandis qu'il s'affairait. Le mérite devait tout de même lui revenir. Il n'avait pas perdu la main. Ou plutôt la langue. Il savait encore comment faire languir la créature qu'il avait sous les doigts, comment en jouer, lui aussi. Quelque part au fond, une des défenses du vampire s'abaissa pour le laisser entrer. Ce n'est pas tous les jours qu'on a, littéralement, un professionnel particulièrement doué entre les pattes. Il n'allait pas le laisser filer, non. Hors de question.
Un frisson le parcourut tout entier, puissant, en communion avec sa frustration grandissante. Sentir la douce chaleur de ses lèvres sur son envie lui arracha un soupir d'aise, et il glissa instinctivement les doigts dans ses mèches brunes, le regard braqué sur sa tête. Il savait y faire. La satisfaction toute professionnelle du maquereau devant la virtuosité de son poulain força un sourire sur son visage impassible, à la fois victorieux et amusé. Pendant un quart de seconde il croisa le sien, de regard. L'empreinte même de la honte, du dégoût, et pourtant une flamme y grandissait progressivement. Celle de l'envie. Un nouveau frisson prit possession de tous les membres d'Alcide, émanant des lèvres de Lio jusqu'à ses extrémités, pulsant lourdement par à-coups. Toujours, le désir reprenait les rênes. Il n'y avait jamais eu une seule exception. Il n'y aurait jamais. Flatté de tant de considération -bien qu'elle fut négative, mais bon, on fait avec ce qu'on a-, l'Immortel s'adossa langoureusement contre le mur. L'alternance entre la douce chaleur de sa gorge et le mur glacé lui arracha un léger gémissement, incontrôlé.

Ça aussi, c'était nouveau. Était-ce le luxe d'avoir une ruelle rien qu'à eux, ou le fait de retrouver toutes ces sensations qui le rendait aussi réactif ? Il y réfléchirait plus tard. Son regrettant partenaire mettait du cœur à l'ouvrage, chaque retour annonçant la montée croissante de ce désir qu'il refoulait autant qu'il le pouvait. L'amusement illuminait les pupilles d'Alcide tandis qu'il enfonçait doucement ses doigts dans le cuir chevelu de Lio, l'incitant à donner plus de cœur, et mois de dents à l'ouvrage. Il bossait bien, ce petit. Pourquoi était-il parti, déjà ? Ah, oui. Il s'était enfui.
Pourtant ce n'était apparemment pas l'envie qui lui manquait de rester à ses côtés. Ils auraient pu faire tellement de grandes choses, ensemble. Un nouveau soupir, rauque, franchit ses lèvres en le sentant monter en application, avant de muer en grognement de protestation.

Le retour de ses lèvres sur les siennes comme le reste de son corps provoqua une nouvelle crise de frissons, tous plus intenses. Tout dans ses gestes était revenu sûr, appliqué, pas de bavure. L'envie reprenait aussi ses droits sur le vampire, et il répondait avec ardeur à ses caresses, laissant filer ses doigts pour finir d'enlever les quelques nippes qui lui restaient sur le dos. Inconvenantes. Sales, débraillées, et avec un mauvais goût à pleurer. Dans une impulsion, il se retrouva à nouveau contre son partenaire, respirant son souffle, enroulant à nouveau sa cuisse autour de ses reins pour reprendre leur valse lancinante. Ventre contre ventre. Le roulis du désir, plus fracassant, pourtant, que quelques minutes auparavant. Il avait maigri. Ses muscles n'avaient plus la même ampleur que dans son souvenir, ni la même souplesse. Alcide tiqua. S'il s'avérait faible, et incapable de le satisfaire, tous deux risquaient de passer un très mauvais moment : lui, pendant, Lio, juste après.

Leur ballet s'interrompit un court laps de temps. Juste assez pour que son partenaire ait un regard désespéré vers l'extérieur, qui mit un pas à la bonne humeur du vampire. Il est en train de te filer entre les doigts, il va falloir y remédier. Nouant ses bras autour de sa nuque pour lui bloquer la vue, Alcide se mordit la lèvre juste assez pour en tirer une perle de sang, et se pencha en avant pour l'embrasser passionnément. Se montrer désirable, et désireux, avait toujours été une bonne tactique. Son baiser avec le goût de promesses sans limites, de l'envie autant que quelques autres de ces petites choses qui faisaient chavirer l'humanité. Cette impression d'être aimé. D'être désiré. S'il y avait bien quelque chose qu'il avait appris à feindre, c'était ça, son propre sang n'aidant qu'un peu plus. Léchant doucement ses lèvres, sans sourciller au goût de fer qu'elles venaient d'acquérir, il planta un regard langoureux dans ses prunelles, avant de susurrer :

-Il n'y a que toi et moi, Lio...

L'ambivalence du vampire était bien connue. Il y avait un fond de vérité, exquise, de désir non-caché dans ce ronronnement chaud. Mais aussi une petite pointe de jalousie, latente. Qu'il ne songe même pas à le lâcher. Hors de question. Pour appuyer sa requête silencieuse, il augmenta l'intensité de ses ondulations contre son bas-ventre, relevant la cuisse pour caresser le creux de son genou de la pointe du pied. Avec autant douceur, il caressa ses avant bras pour finalement les attraper, et poser ses mains sur ses propres cuisses. Il se mordilla la lèvre, puisant à nouveau une goutte de sang, avant de revenir l'embrasser chaudement. Certes, il voulait garder ce petit "extra" pour plus tard. Voire jamais. Mais il s'agissait là de le tenir en alerte. Et quoi de mieux qu'une des pires drogues de ce monde ?
Une main se posa à nouveau sur sa nuque, attirant son partenaire contre ses lèvres, le tenant pour qu'il ne s'échappe pas avant d'avoir savouré ce nouvel avant-goût de plaisir sans borne qui l'attendait. Ses doigts libres s'enroulèrent le temps de quelques rapides coups de poignet sur son sexe, avant de le guider entre ses propres cuisses. Plus l'intensité progressait, plus la honte serait grande. Personne ne viendrait de toutes façons.

Une dernière impulsion et il s'enroula intégralement autour de sa proie, les bras croisés autour de sa nuque, les cuisses autour de ses reins. Dire que Lio était pris relevait du pléonasme. Sa place dans la chaîne alimentaire, comme la tâche qu'il avait maintenant à accomplir, ne faisait plus aucun doute. S'il n'était aussi affairé à mordiller la mâchoire de sa proie, le prédateur aurait éclaté de rire.

Il cédait. C'était tellement évident que c'en devenait presque risible. Lio, pauvre Lio, pourquoi es-tu aussi faible ? Pourquoi n'es-tu pas capable de voir plus loin que le bout de ton nez, de comprendre que tout ce que je fais de toi n'est qu'un jeu ? Un simple jeu. Il n'y a aucune raison en soit qu'il s'arrête, ce jeu, ce grand tout que nous formons l'un contre l'autre. Mais tu ne te rends toujours pas compte que ce que tu prends pour de l'affection, ou de l'envie, est tout autre. Ma proie. Ma pauvre petite et insignifiante proie.

Les lèvres rougies par le sang, Alcide planta à nouveau sa canine dans sa peau, prêt à user de toute la ressource nécessaire pour achever de faire sombrer sa victime dans ce simulacre de passion auquel il semblait vouloir se rattacher. Il n'avait jamais compris en quoi le fluide le plus vital qui soit avait autant d'effet sur l'Humanité du moment qu'il venait d'un immortel. Mais l'état dans lequel il les mettait était tel qu'il ne pouvait tout décemment pas ne pas l'utiliser. Parce que ça servait ses intérêts. Parce que ça laissait l'ancien prostitué fiché entre ses cuisses dans une brume presque opaque de désir, nageant dans l'illusion que peut-être son maître actuel se languissait de lui. Alcide, languide, on aura tout vu.
La déclaration étouffée de son partenaire, tant par ses paroles que par ses actes, manqua de lui arracher un éclat de rire victorieux. Chht, n'en laisse rien paraître. Continuer de jouer la comédie, c'était ce qu'il faisait de mieux, et c'était ce qu'il ferait encore jusqu'à ce que quelqu'un se décide à y mettre un terme. Les choses étaient comme ça, et pas autrement. L'Immortel libéra une de ses mains et se laissa retomber au sol, gardant toutefois une jambe enroulée autour de ses reins. Pour mieux onduler contre lui. Pour mieux préserver le contact brûlant entre leurs deux corps. Levant un regard presque surpris sur ce visage si honteux, il murmura d'une voix veloutée, à peine plus forte que le souffle du vent.

-Tu seras à moi pour toujours, alors ?...

Parce que je veux la même chose que toi, essentiellement. Ca, plus ta honte. Mais elle viendra plus tard. Sa main libre vint glisser le long de sa joue, épousant du doigt ces traits coupés au couteau qui, malgré tout, lui avaient un peu manqué... D'où lui venait ce sentimentalisme soudain ? Il arrangea la situation d'un rude coup de reins contre le bassin de son partenaire avant de l'attirer dans un baiser aussi avide que sanglant, sa main libre courant à nouveau le long des muscles de son torse. Ses ongles jouèrent un bref instant à suivre les sinuosités de ses muscles pour venir rejoindre son envie, joueurs. S'il y avait un autre endroit dans tout Wonderland où il aurait dû être, il ne l'aurait pas rejoindre. Pas contre ce plaisir terrifiant de jouer suffisamment au chat et à la souris pour réussir à obtenir ce qu'il voulait. Tout était tellement plus parfait quand les uns cédaient aux pulsions des autres. Sans attendre plus longtemps, ses doigts clairs s'enroulèrent autour de la hampe de son partenaire, pulsant au rythme de ses propres ondulations. Alcide menait le jeu, comme toujours. Il était temps d'inverser un peu la tendance.

Ses lèvres relâchèrent un instant celles du pauvre ère pour lui laisser le loisir de respirer, brossant d'un peu de sang la peau claire de son visage avant de venir se poser sur sa tempe. Fais festin avec moi, Lio, repais-toi dans ton envie puis crèves-en de honte.

-Tu sais très bien ce que je veux...

Bon par contre, il n'allait certainement pas rester le dos contre ce mur. Il était glacial, et si Lio voulait ne pas se faire dévorer dans la seconde suivant l'acte, il allait falloir trouver une autre solution. D'un mouvement de reins gracile, tout en lâchant la pression qu'il exerçait jusque là sur le membre de son partenaire, l'Immortel se retourna dos à sa proie, bien conscient de la vue qu'il lui offrait. Certains clients plus favorisés que d'autres lui avaient quelques fois demandé s'il n'était pas plus incube que vampire. Les pauvres idiots.
Au prix d'une nouvelle torsion, il étendit le bras pour venir serrer doucement mais fermement la nuque de son partenaire afin de l'attirer à nouveau contre lui. Le contact de son corps, chaud, contre le sien que le vent venait de désagréablement refroidir lui arracha un nouveau frisson. Par dessus son épaule, tirant légèrement sur les cheveux de son ancien employé, il l'attira dans un nouveau baiser sanglant avant de murmurer.

-Fais-nous du bien à tous les deux. Tout de suite...

Ce serait toujours pareil. Toujours la même chanson. Alcide creusa langoureusement le dos, se pressant contre le bassin du pauvre bougre en lui mordillant doucement la lèvre. Ses yeux riaient plus que de mesure. Aussi longtemps passeraient-ils sans se croiser que les choses seraient toujours les mêmes. Une avalanche de plaisir, pour quelques instants, avant une vie entière à avoir honte.
Le deal était toujours aussi sublime, et toujours d'actualité.

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