Il ne faut jamais arriver en retard à la cérémonie du thé. Vous pourriez vous faire raccourcir du cou, juste au niveau de la tête. Et la cicatrice n'est pas belle à voir.

Tu ne te souviens plus du moment où tu as découvert tes pouvoirs. Certainement très jeune, car c'est comme si tu avais toujours vécu avec, inconsciemment. Des choses qui volaient, ou disparaissaient. Tu étais jeune, pure, si innocente. Une enfant comme les autres, sauf qu'elle avait des pouvoirs. Tu aimais tes parents, tu étais la petite princesse, l'enfant unique, adorée, comblée. Si bien que tu ne vis jamais le coup venir. Même lorsque le soir, tu te glissais dans le couloir de la maison et que tu entendais tes parents discuter de combien tu leur rapporterais, tu ne réalisais pas. Au fond de toi, tu savais. Il allait te vendre. Un peu comme un animal domestique, qu'on a élevé. Et pourtant, tu continuais à vivre dans ta petite bulle dorée, rejetant tes boucles brunes sur tes épaules, avec tes mimiques d'enfant. Tu te collais à la robe de ta mère, qui exaltait ce parfum naturel, dans lequel tu aimais t'endormir. Tu embrassais ton père sur sa joue, alors qu'il te prenait dans ses bras, que ses yeux pétillait. Et que d'un intense sourire, il te disait « Tu es ma petite princesse. »

Pourtant, le jour où les sorciers débarquèrent sans prévenir, les larmes coulèrent. Tu refusais de faire exploser les cris, qui formaient cette grosse boule au fond ta gorge. Comme si tu suffoquais. On t'avait arraché à ta maison. Et on chuchotait encore et encore. Le Lapin Blanc. Le Lapin Blanc. Tu n'avais pourtant rien d'un lapin. Et tu n'étais pas si fan des carottes que ça. Tes géniteurs t'avaient vendu, pour réaliser leur rêve de gloire. Ils voulaient le luxe, les belles robes, une grande maison, des habits coûteux, un train de vie qui ferait envie aux autres. Le Lapin Blanc avait été trouvé. Ils gagneraient encore plus d'argent, grâce à ta vente. Tu étais le trophée perdu, mais tu étais là. De nouveau. Celle qui savait contrôler le temps. En premier lieu, tu te moquais bien de tout cela, refusant de pratiquer la magie, comblant ta tristesse dans ta solitude. Tu repoussais les autres avec haine. Tes parents ne t'avaient jamais aimé. Tu n'avais plus envie de te lier à qui que ce soit. Tu ne faisais plus confiance à ton entourage. Tu ne voulais pas d'amis. Et puis, tu suivis les cours, avec quelques réticences. Personne ne voulait aller avec la fille dont le regard était vide et cerné. On ne voulait pas partager son chaudron avec toi. Tu leur faisais peur, avec tes regards sinistres.

Tu te vengeas sur tes petits camarades. Répétant avec fierté qui tu étais. Le Lapin Blanc. Donc pas touche. Et pourtant. Tu n'avais jamais encore exploré cette étendue de ton pouvoir. Tu ne savais même pas comment ils t'avaient reconnue. S'ils ne se trompaient pas de personne ? Et si tu étais juste une banale petite sorcière ? Ils te rendraient à tes parents ? Tu espérais que non. Parce que sinon, ça voudrait dire que pendant des années, tu avais manipulé tout le monde, en les menaçant, pour rien. Ils se vengeraient sur toi. Tu espérais être vraiment le Lapin Blanc. Surtout pour ce sorcier, dont tu avais détruit la potion d'oubli. Une potion qui demandait du temps de préparation, une bonne semaine. Cette potion que tu avais transformé en filtre d'amour. Pour que son pire ennemi se jette sur ses lèvres, au lieu d'oublier tous les coups bas qu'il lui avait fait. Tu obtins ton diplôme. Tu étais détestée par la majeure partie des autres sorciers. En même temps, tu leur en avais fait baver, dans le genre "si tu me saoules, je détruis ta vie héhé", et en scandant à tout va ton petit surnom.

Tu aimais créer des potions, des sortilèges. Qui ne rêve pas pouvoir lier les gens par un élixir d'amour, transformer les gens en batraciens, les ensorceler un peu ? Toi, tu adorais. Et tu adoras d'autant plus, lorsque par hasard, tu découvris un jour que tu étais bien le Lapin Blanc. Tu avais foiré une potion, qui avait explosé. On allait encore te tomber dessus. Par peur de te faire lyncher par ta vénérée Reine Rouge, prise de panique, tu remontas dans le temps. Sans trop savoir comment, pour tout dire. Tu avais concentrer ton énergie sur une montre à gousset. (Oui, les sorciers n'utilisent pas tous des baguettes magiques, c'est un peu hasbeen de notre temps.) Et tu modifias le moment où tu mélangeais les ingrédients, réalisant que tu avais confondu un œuf de Dodo et des pissenlits carnivores. Depuis, tu te mis à rendre à peu près tous les gens du royaume fous. Mais attention. Sans qu'ils s'en aperçoivent. Tu jouais à Dieu, liant les uns avec les autres, créant des situations impossibles. Tu eus même le désir de rendre visite à tes parents et de les rendre pauvre. Mais tu ne cédas pas à ta pulsion.

Tu compris alors que tu n'avais pas vraiment de maître. Pas même cette sombre Reine Rouge, qui menaçait à tout va de découper la tête d'untel. Pourtant, tu compris que tu devais rester aussi rusée que le renard. Et tu bridas ton pouvoir face à ta vénérée Reine, qui venait, en personne, te voir lorsqu'elle en avait besoin. Car bien sûr que la Reine Rouge convoitait ton pouvoir. Mais depuis peu de temps, le vent semble tourner dangereusement en ta défaveur. La Reine est loin d'être une idiote naïve. Et il se pourrait bien qu'elle se doute de tes actions clandestines...